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Aménagement de la faune sauvage au Zimbabwe: le programme CAMPFIRE


F. Murindagomo

Cet article est une version actualisée d'une étude de cas publiée à l'origine dans Living with wildlife, Washington D.C., Banque mondiale, 1990. Il analyse une opération pilote visant à préserver les écosystèmes fragiles et à élever le revenu des populations locales des zones arides du Zimbabwe.

Felix Murindagomo est écologiste en chef au Département des parcs nationaux et de l'aménagement de la faune sauvage du Zimbabwe.

Au Zimbabwe, la superficie occupée par les parcs nationaux, les zones de safaris, les parcs de loisirs et les réserves (collectivement dénommés Wildlife Estate ou domaine de la faune sauvage) totalise environ 47000 km2, soit 12,5 pour cent de la superficie totale des terres. Ce domaine relève du Ministère des ressources naturelles et du tourisme; il est géré par le Département des parcs nationaux et de l'aménagement de la faune sauvage (DNPWLM), qui est aussi responsable des ressources en faune sauvage de l'ensemble du pays, y compris les zones commerciales et communautaires.

L'essentiel du domaine de la faune sauvage se situe sur des terres isolées ou accidentées au climat chaud et sec avec des sols peu profonds et infertiles présentant un faible potentiel agricole. La pression démographique oblige néanmoins des populations à venir s'établir dans ces zones où elles s'efforcent d'introduire et de conserver des pratiques agricoles destinées à l'origine à des régions moins fragiles. Cette migration dans des zones marginales crée des conflits entre la population et la faune sauvage.

Le zèbre et l'élan sont parmi les animaux sauvages que l'on trouve dans le district de Guruve au Zimbabwe

La faune sauvage rapporte à l'économie du pays plus de 250 millions de dollars des Etats-Unis par an (le quart de l'apport total de l'agriculture) grâce aux safaris, à l'exploitation du gibier, au tourisme et à la vente d'animaux sur pied. Les safaris rapportent des sommes importantes en devises et fournissent des emplois directs aux populations locales. Ils contribuent aussi au développement d'activités secondaires telles que le traitement des cuirs et des peaux et la sculpture de l'ivoire. Si la chasse de subsistance reste illégale dans la plus grande partie du pays, les prélèvements de gibier assurent aux populations des terres communautaires un apport de protéines animales.

A l'origine, l'Autorité de préservation de la faune sauvage du Zimbabwe, comme ses homologues de la plupart des pays africains, avait à charge de protéger la faune sauvage et de préserver les zones protégées. faune sauvage, considérée comme «gibier du roi», était l'objet d'une réglementation qui faisait de son exploitation légale et de sa conservation la prérogative exclusive de l'État. En fait, les communautés autochtones étaient victimes d'une double expropriation: il leur était interdit d'exploiter les ressources de la faune sauvage locale et elles se voyaient en outre progressivement exclues de la moitié des terres du pays. Elles étaient de plus en plus confinées sur les terres communautaires où la population humaine et la pression agricole sur la terre réduisaient le potentiel économique de la faune sauvage. L'aliénation des ressources de la faune sauvage et la limitation de l'accès à la terre ont transformé les perspectives d'une époque antérieure où les populations rurales exploitaient de façon rationnelle les ressources de la faune sauvage. Sauf lorsqu'on l'a chassée clandestinement pour sa viande, la faune sauvage est devenue un fardeau et une nuisance.

Une conception nouvelle et plus satisfaisante de la faune sauvage, reposant sur des incitations économiques, a vu le jour en 1960 avec le vote de la loi sur la conservation de la faune sauvage et s'est définitivement imposée en 1975 avec celui de la loi sur les parcs et la faune sauvage. La loi de 1975 donnait aux propriétaires fonciers le droit de gérer la faune sauvage pour leur propre compte, ce qui renforçait par un argument économique les justifications scientifiques, esthétiques et morales de la préservation de cette faune. Bien que la loi ait concerné au départ les agriculteurs et les éleveurs possédant des exploitations commerciales, elle contient une disposition qui permet de désigner les conseils de district comme «autorités compétentes» pour gérer la faune sauvage de leurs districts sur les terres communautaires, à condition que le gouvernement (Ministère des ressources naturelles et du tourisme) soit certain de la volonté et de la capacité du conseil de gérer convenablement ses ressources, avec l'entière participation de la population qu'il représente et au profit de celle-ci.

La première tentative visant à permettre aux communautés rurales de tirer des profits économiques de la faune sauvage a été constituée par le projet WINDFALL (Wildlife Industries New Development for All), lancé en 1978 parle Département des parcs nationaux et de l'aménagement de la faune sauvage. Ce projet avait pour but de réduire les conflits entre les populations humaines et la faune sauvage, et d'améliorer l'attitude de ces populations à l'égard de la conservation dans les zones communautaires, en reversant directement aux conseils de district voisins les recettes tirées de l'exploitation de la faune sauvage des zones protégées (par exemple les recettes d'un programme de régulation des effectifs d'éléphants).

Le projet WINDFALL n'a cependant pas tardé à se heurter à plusieurs problèmes importants. Tout d'abord, comme il concerne la faune sauvage vivant sur des terres de l'État et non sur des terres communautaires, il ne fait pas participer les communautés à la prise des décisions. Par ailleurs, les quantités de viande dont les communautés locales ont pu bénéficier ont été minimes, et une faible proportion seulement des recettes tirées de l'opération a effectivement été reversée comme prévu aux conseils de district. De plus, ces derniers n'ont pas nécessairement transféré cet argent aux communautés d'origine (c'est-à-dire celles où se situe effectivement la faune sauvage en question). En un mot, laissant de côté les terres ou les ressources communautaires, le projet ne peut développer ni la participation de la population aux décisions, ni son sens de la propriété. De ce fait, WINDFALL ne parvient pas à établir un lien entre les ressources de faune sauvage et les avantages économiques qu'elles peuvent procurer et qui sont nécessaires pour la réussite de la mise en valeur de cette faune au niveau des communautés.

Conscient de ces problèmes et encouragé par la volonté exprimée par le nouveau gouvernement de décentraliser la planification et l'exécution, le Département des parcs nationaux et de l'aménagement de la faune sauvage a mis au point le programme CAMPFIRE (Communal Areas Management Programme for Indigenous Resources) visant à confier entièrement la gestion de la faune sauvage aux communautés rurales. Le principe sur lequel se base ce programme est que si ces communautés peuvent exploiter ces ressources de façon viable pour leur propre compte, elles investiront dans la conservation de l'environnement.

L'idée de base du programme CAMPFIRE est de créer des institutions qui permettent aux communautés résidentes de gérer et d'exploiter les ressources de façon légitime. Les bénéfices qu'elles en tireront pourront être utilisés au profit de la communauté elle-même ou distribués aux ménages au choix de la communauté.

La chasse commerciale du phacochère représente une importante source potentielle de revenus

Les deux premiers conseils de district (Nyami et Guruve) se sont vu accorder les pouvoirs voulus en novembre 1988 et ont entrepris des projets d'aménagement de la faune sauvage (sur les terres communautaires d'Omay et de Kanayati/Gache à Nyami Nyami et sur la terre communautaire de Dande à Guruve). Jusqu'à maintenant, dix autres conseils de district se sont vu accorder l'autorité voulue, et six autres l'ont demandée. La multiplication remarquable de ces programmes de district du programme CAMPFIRE s'explique en grande partie par le fait que l'expérience des deux premiers districts a apporté la preuve du fort potentiel de création de revenus par l'aménagement de la faune sauvage. La suite du présent article est consacrée au projet des terres communautaires de Dande.

Les terres communautaires de Dande

Ces terres sont situées dans le district de Guruve dans l'extrême nord du Zimbabwe, dans la vallée du Zambèze à la frontière du Mozambique (voir la carte). La zone du projet couvre environ 3000 km2 et occupe toute la partie orientale et centrale des terres communautaires limitées par les rivières Msengezi à l'est et Angwa à l'ouest. La zone située entre les rivières Manyame et Msengezi fait l'objet du Projet de développement rural du moyen Zambèze (MZVRDP), qui est un projet d'utilisation intégrée des terres comportant la réinstallation d'environ 3000 familles d'agriculteurs et finançant les infrastructures sociales essentielles pour une communauté de 45000 personnes.

Les Terres Communautaires De Dande

La zone de ce projet comprend deux parties nettement différentes sur le plan écologique et nécessitant par conséquent des approches diverses de l'utilisation des terres. La zone méridionale, classée comme offrant un potentiel agricole modeste, est très fortement peuplée et comporte de faibles concentrations d'animaux sauvages et une présence peu importante de la mouche tsé-tsé. Le projet met l'accent dans cette zone sur la production agricole. Dans la zone septentrionale, la densité de peuplement humain est faible, l'infestation par la mouche tsé-tsé importante et l'écologie fragile. C'est pourquoi le projet s'y limite à l'aménagement de la faune sauvage et à la recherche de l'autosuffisance en cultures vivrières. Il décourage par ailleurs toute nouvelle implantation de population dans le nord. Le programme relatif à la faune sauvage s'étend à la zone située entre les rivières Manyame et Angwa, car la faune sauvage y est relativement abondante, alors qu'elle est assez rare dans la zone même du projet MZVRDP.

Conception et mise au point du projet

Le projet a été conçu par le Département des parcs nationaux et de l'aménagement de la faune sauvage sans participation des communautés cibles avant la phase d'application, ce qui a créé quelques difficultés pour motiver les populations locales. Le projet était cependant assez souple pour permettre les changements souhaités par la communauté sans que sa viabilité d'ensemble soit compromise. Le financement extérieur, assuré par la Banque africaine de développement, porte sur l'amélioration de l'infrastructure et sur l'équipement nécessaire à l'exécution du projet, tandis que le Gouvernement du Zimbabwe paie les salaires. Le coût total du projet (investissements et dépenses renouvelables) pour le programme relatif à la faune sauvage a été estimé à 882500 dollars zimbabwéens (635400 dollars des Etats-Unis). La communauté fournit la main d'œuvre et les matériaux de construction locaux et participe aux décisions et à la gestion du projet.

Le Département des services agricoles, techniques et de vulgarisation est responsable de l'attribution et de la délimitation des terres pour le peuplement, le pâturage et la faune sauvage. Il collabore avec le Département des parcs nationaux et de l'aménagement de la faune et le conseil de district dans le cadre des plans généraux d'aménagement du territoire pour la zone du projet. Le Département de lutte contre la mouche tsé-tsé a déjà participé à un programme d'éradication de cet insecte dans la zone du projet (l'un des objectifs du projet sur la faune sauvage était de montrer que l'aménagement de cette faune pouvait être économiquement préférable à l'élevage bovin dans la zone nord, même si l'on parvenait à éliminer le problème de la mouche tsé-tsé). Le Département des services vétérinaires a été chargé de contrôler l'introduction de bétail dans les secteurs aussi bien sud que nord de la zone du projet. Les activités de tous ces départements sont coordonnées par le Département du développement rural sous l'égide du MZVRDP.

Le Département des parcs nationaux et de l'aménagement de la faune sauvage a désigné, au sein de son unité d'aménagement des ressources naturelles, une équipe de projet chargée d'apporter sa compétence technique sur l'aménagement de la faune sauvage, son amélioration et les systèmes de commercialisation. Cette équipe est elle-même organisée en comités de gestion, qui sont en cours de formation pour pouvoir prendre en charge au bout de cinq ans les aspects aussi bien administratifs que techniques du projet.

Plutôt que de créer un nouveau cadre institutionnel local, il a été décidé que le projet renforcerait les capacités de gestion, de planification et de développement des comités villageois de développement (VIDCO) et des comités de développement au niveau des circonscriptions (WADCO) créés en 1984 dans le cadre de la politique gouvernementale de décentralisation des décisions, de la planification et du développement.

La participation locale est instituée par la création d'un comité de district de la faune sauvage (DWC), qui permet la représentation directe des présidents des WADCO. Ce DWC a été institué pour permettre des opérations conjointes, les circonscriptions ne disposant pas de ressources suffisantes pour mener à bien chacune pour son compte des entreprises viables en matière de faune sauvage. Cette mesure a également facilité la participation du conseil de district, qui est légalement l'autorité compétente en ce qui concerne les terres communautaires et les ressources naturelles qui s'y trouvent.

Pour renforcer la participation de la base, il a été décidé que le président du DWC serait élu parmi les présidents des comités de gestion des circonscriptions. Les autres membres du DWC étaient des conseillers auprès de circonscriptions ayant décidé d'instituer des zones de ressources communautaires et, pour le conseil de district, son président, son directeur exécutif et ses responsables des finances et de l'administration. Le rôle des membres du conseil de district est de coordonner l'administration de la chasse et le versement des recettes correspondantes aux comités de circonscription selon les recommandations du DWC.

Le projet s'est axé essentiellement sur les safaris, car c'était l'activité qui pouvait procurer Le plus de recettes avec le moins de risques de dégradation de l'environnement (puisqu'elle n'exige pas une densité importante de faune sauvage). Les possibilités de tourisme d'observation sont faibles vu qu'il s'agit d'une région éloignée des principaux centres et circuits touristiques. Le DWC a été chargé d'organiser les safaris pour le compte des circonscriptions membres en employant des chasseurs professionnels et un directeur de projet, de façon que les profits qui allaient auparavant aux organisateurs privés de safaris aillent désormais au DWC et, par son intermédiaire, à la communauté. L'un des buts était aussi de former un certain nombre de membres de la communauté aux compétences en matière de gestion et de direction nécessaires pour mener ces entreprises.

Le projet de développement rural de la vallée du moyen Zambèze

Objectifs de l'élément aménagement de la faune sauvage du projet:

· préserver la fragile écosystème et assurer la viabilité économique de la zone grâce à l'utilisation de la faune sauvage;

· éliminer le conflit entre le développement agricole et l'aménagement de la faune sauvage (en améliorant la protection des cultures et des ménages);

· fournir in supplément de revenu aux populations locales et les faire participer à une exploitation économique durable de leur riche patrimoine de faune sauvage et leur en faire partager les avantages;

· servir d'opération pilote pour démontrer de nouvelles possibilités de repeuplement des zones arides du Zimbabwe, en encourageant l'aménagement de la faune sauvage en tant que nouvelle utilisation de la terre dont les communautés peuvent attendre une rentabilité comparable à celle de l'agriculture traditionnelle ou même meilleure(agriculture traditionnelle qui est en général peu rentable dans cet environnement semi-aride);

· améliorer la nutrition dans la région en permettant a la population locale de se procurer facilement et légalement du gibier;

· améliorer les aspects économiques de l'utilisation de la faune sauvage dans la zone, en encourageant un plus grand nombre de communautés rurales à exploiter la faune sauvage à l'échelle commerciale;

· améliorer et maîtriser les techniques de gestion pour l'aménagement de la faune sauvage communautaire;

· créer des institutions locales impliquant une participation active de la population locale et la prise des décisions au niveau des communautés en ce qui concerne la gestion et le développement des ressources naturelles de propriété communautaire(encourageant ainsi la mise en valeur économique de ces ressources).

La distribution des recettes des safaris est un aspect important des responsabilités qui incombent aux DWC. En principe, chaque circonscription participante perçoit une certaine somme par animal tué dans sa zone de ressources communautaires, cela étant déterminé à partir des formulaires remplis par les chasseurs professionnels (et à la disposition de chaque comité de circonscription). En outre, une personne choisie parmi les membres du comité de circonscription accompagne les safaris qui ont lieu sur ses terres.

La viande des animaux tués est distribuée aux villageois les plus proches du lieu de capture (car le chasseur de safari n'en prend généralement pas beaucoup pour lui-même). Cela découragera peut-être le braconnage dans cette zone à déficience protéique. Le cadre d'aménagement fixé par chaque circonscription peut aussi prévoir des prélèvements ou la chasse individuelle moyennant permis. Ces permis seraient délivrés par le comité en fonction de quotas fixés par le Département des parcs nationaux et de l'aménagement la faune sauvage en consultation avec le DWC. Les circonscriptions sont également compétentes pour décider qui doit assurer la chasse des animaux qui posent des problèmes et comment indemniser les dommages causés aux cultures ou les pertes causées au bétail par la faune sauvage, et pour organiser les opérations de lutte contre le braconnage avec l'aide de gardes formés localement.

Résultats: prélèvements de faune sauvage et rentabilité économique

C'est en 1989 qu'a eu lieu la première campagne de chasse du projet. On trouvera au tableau ci-après les chiffres du revenu réel, des dépenses et des répartitions des recettes pour les campagnes 1989 et 1990. Trois des sept circonscriptions ont tiré de la chasse sportive des revenus substantiels en 1989. Dans la circonscription de Kanyurira par exemple, la majeure partie des 47000 dollars zimbabwéens ont été alloués à des projets communautaires, notamment un dispensaire, mais chaque ménage devait aussi recevoir une somme de 200 dollars zimbabwéens en espèces. (On notera que le revenu du coton pour le ménage moyen dans cette circonscription a été la même année de 500 dollars zimbabwéens). Dans les deux autres circonscriptions, le nombre des ménages était trop important pour qu'on leur fasse des versements individuels; les recettes ont toutes été allouées à des projets communautaires.

TABLEAU. Projet d'aménagement de la faune sauvage de Dande: recettes et dépenses, 1989 et 1990


1989

1990

Recettes brutes

299387

388694

Dépenses ordinaires

133341

220542

Coût d'investissement

214732

234085

Dividendes aux gardes

61340

81270

Kanyurira

47310

64270

Chisunga

4030

17000

Chitsungo

10000

0

Autres gardes

0

0

Allocations et prélèvements

64425

31053

Prélèvement de l'Association CAMPFIRE

0

5380

Prélèvement du conseil de district

19925

25223

Fonds de réserve de capital

33209

0

Fonds de gestion du district

11291

0

Excédent total non distribué au niveau du conseil de district

41281

55829

En 1990, les circonscriptions de Kanyurira et de Chisunga ont été les seules à percevoir un revenu de la chasse sportive. Les faibles effectifs des animaux et l'installation de nouveaux arrivants de plus en plus nombreux dans les autres circonscriptions participantes y rendent difficile la génération de revenus de cette activité.

La partie nord des terres communautaires de Dande, qui comprennent la zone de safaris de Dande, a été louée à un organisateur de safaris jusqu'à la fin de 1990. Dans la zone située à l'est de la rivière Angwa, le DWC organise ses propres safaris pour lesquels il emploie un directeur de projet/chasseur professionnel. Les résultats obtenus jusqu'à maintenant montrent que ce système a été financièrement inefficace. Bien que le quota de chasse attribué à l'organisateur de safaris n'ait dépassé que d'un tiers celui du conseil de district, le montant net des recettes qu'il a générées a été supérieur de 150 pour cent (168000 dollars zimbabwéens contre 67363). Jansen (1990) estime que si les deux opérations avaient été menées avec la même efficacité, le conseil de district aurait dû obtenir un revenu net de 124000 dollars zimbabwéens. Cette expérience montre qu'il serait plus rentable pour les districts d'opérer en coentreprise avec des organisateurs de safaris expérimentés, aussi longtemps du moins que l'expérience de la communauté locale ne permettra pas une gestion efficace des opérations.

Les quotas de chasse ont été fixés à un niveau relativement bas de façon à assurer une meilleure qualité des trophées. Ces quotas étant nettement inférieurs aux prélèvements maximaux acceptables sur les populations existantes, ils laissent place à la capture d'animaux supplémentaires pour la viande et les peaux. On estime que la viande ainsi obtenue répondrait largement aux besoins locaux, ce qui éliminerait la nécessité du braconnage. Mais, compte tenu des effectifs relativement faibles des espèces en cause, les prélèvements opérés pour la viande n'ont pas été rentables jusqu'à présent dans la zone du projet, de sorte que, aussi longtemps que les stratégies de protection ne permettront pas d'accroître les populations, les captures seront limitées aux animaux qui posent des problèmes (notamment les éléphants et les buffles qui endommagent les cultures).

Résultats: développement institutionnel

L'un des buts du projet a été de renforcer les capacités de planification et de gestion des VIDCO et des WADCO, ces institutions n'ayant pas fonctionné de façon satisfaisante depuis leur création en 1984. En effet, le niveau insuffisant d'instruction et de capacités de gestion de leurs membres et la faiblesse de la base économique des zones de leur ressort ne leur ont pas permis de procéder de façon efficace à la prise de décisions, à la planification et à l'application des plans de développement.

Les comités d'aménagement de la faune sauvage créés dans le cadre du projet ont été intégrés aux VIDCO et aux WADCO en tant que sous-comités appelés à servir d'institutions économiques chargées de la gestion, de la commercialisation et de la conservation des ressources en faune sauvage des circonscriptions. C'est cependant le conseil de district qui décidait de l'allocation de fonds aux circonscriptions, et la plupart d'entre elles n'en ont pas bénéficié, ce qui explique que la base économique ne s'est pas développée et que les VIDCO et les WADCO ont fonctionné essentiellement en tant qu'institutions administratives.

Au début, la coordination entre les organismes participant à l'exécution du projet dans la région de Dande a été médiocre. Il n'existait aucune instance centrale qui servait de lien entre les différentes activités. Cet état de choses a créé la confusion dans les comités de circonscription et s'est traduit par une présentation incohérente des objectifs du projet aux communautés cibles. Le problème a été encore aggravé par le faible niveau d'instruction des membres des VIDCO et des WADCO, de sorte que le processus de décision s'est déroulé du haut vers le bas de la hiérarchie.

Pour y remédier, il a été créé un comité de direction où siègent des représentants des circonscriptions, des conseillers techniques du Département des parcs nationaux et de l'aménagement de la faune sauvage, du ZimTrust, du Fonds mondial pour la nature et du CASS. Ce comité est chargé de coordonner les activités de tous les participants et sert d'organe de planification et de direction pour le DWC. Son rôle est purement consultatif et il fait le maximum pour que les comités de circonscription prennent des décisions en toute connaissance de cause sur l'aménagement de la faune sauvage et encouragent le développement des compétences locales en matière de direction d'entreprise et de gestion nécessaires pour exécuter le projet.

Il est prévu que l'utilisation des revenus tirés de la faune sauvage sera décidée au niveau du village, ce qui est important pour susciter chez les villageois un intérêt pour la préservation de cette faune. C'est la partie du projet qui a suscité de vifs conflits entre les VIDCO et le conseil du district. Celui-ci prétendait que les ressources en faune sauvage appartenaient à l'ensemble du district, même si leur répartition était inégale, et que le conseil étant de facto l'autorité compétente en ce qui concerne les ressources naturelles du district, c'était à lui qu'il appartenait de décider de la conservation et de l'exploitation de la ressource et de la répartition des bénéfices. L'argument des représentants des communautés de Dande était le suivant: ces communautés ne pouvant pas élever de bétail à cause de la mouche tsé-tsé, c'est la faune sauvage qui est leur bien principal. Selon eux, le potentiel agricole de leur région est médiocre, et ce sont leurs communautés qui souffrent le plus des déprédations commises par la faune sauvage. En outre, l'exploitation de cette faune dans leur secteur ne leur a apporté jusque-là aucun bénéfice direct. Ils sont convaincus que la majeure partie des recettes faites dans le passé a été utilisée au profit de zones dépourvues de faune sauvage.

Dans un sens, ce conflit a été bénéfique pour le projet. Les communautés de Dande se sont aperçues que ses objectifs coïncidaient avec les leurs, c'est-à-dire mieux maîtriser les ressources en faune sauvage qu'elles considéraient comme leur bien propre. Le conflit faisait rage au moment où le conseil du district demandait le statut d'autorité compétente pour la faune sauvage sur les terres communautaires de Dande. Le conseil, conscient du fait que la faune sauvage constituait une source de revenus de plus en plus importante, voulait se l'approprier. De son côté, le Département des parcs nationaux et de l'aménagement de la faune sauvage était convaincu que la préservation des ressources naturelles à Dande et dans d'autres communautés ne pourrait être efficace que si les communautés résidentes étaient appelées à participer à un programme viable d'exploitation de la ressource dont elles profiteraient directement.

L'impasse a été résolue administrativement lorsque le Département des parcs nationaux et de l'aménagement de la faune sauvage, en accordant au conseil de district le statut d'autorité compétente, a précisé qu'il devait administrer la faune sauvage par l'intermédiaire du DWC (comité de district de la faune sauvage) et faire en sorte que les ménages vivant sur les terres communautaires de Dande en tirent le maximum d'avantages directs, proportionnellement au montant des recettes tirées dans chaque circonscription de l'exploitation de la faune sauvage. En fait, au cours de la campagne 1989, 62 pour cent seulement du total des recettes ont été alloués aux circonscriptions en fonction du lieu où les bêtes avaient effectivement été capturées. Le reste a été conservé par les conseils de district sans être distribué, c'est-à-dire que la situation était la même que lorsque le gouvernement central répartissait directement les recettes du projet WINDFALL.

Conclusions et enseignements tirés de l'expérience

L'exemple des terres communautaires de Dande et d'ailleurs montre que le coût de l'aménagement de la ressource est l'un des principaux facteurs qui déterminent L'importance des avantages tirés de la faune sauvage. D'une façon générale, on recommande de consacrer 35 pour cent des recettes brutes à l'aménagement de la faune sauvage, d'en verser 15 pour cent au conseil de district et 50 pour cent aux circonscriptions productrices, mais dans la pratique les coûts d'aménagement de la faune sauvage s'élevant à plus de 35 pour cent des recettes brutes tirées de cette ressource, la grande masse des avantages tirés de son exploitation profite à une très faible proportion de la population totale, c'est-à-dire aux personnes qui participent directement à l'aménagement de cette ressource. De plus, l'utilisation de la faune sauvage s'est révélée être une activité particulièrement rémunératrice au niveau du district, ce qui a provoqué une réticence à abandonner la mainmise sur ces recettes. Cela ne facilite pas le transfert au niveau des ménages des avantages tirés de la faune sauvage.

L'un des buts du projet était de préserver l'écosystème fragile et de conserver la viabilité économique de la région grâce à l'utilisation de la faune sauvage. Les résultats obtenus à ce jour indiquent que l'interaction entre l'ampleur de la ressource et la taille de la population humaine ainsi que sa dimension spatiale influent sur la réalisation de cet objectif. L'éradication de la mouche tsé-tsé se traduit par l'arrivée à la fois d'hommes et de bétail. Or, la viabilité des programmes d'utilisation de la faune sauvage est conditionnée par de faibles densités de population humaine, et l'afflux d'un grand nombre de nouveaux arrivants fait que les principales zones de ressources sont utilisées pour leur installation, ce qui risque fort de réduire la productivité des populations de faune sauvage.

Un aspect capital de l'aménagement de la faune sauvage est l'idée que se font les individus - qui sont en fin de compte les décideurs - des avantages qu'ils tirent de cet aménagement par rapport aux coûts que cela représente. Dans le cadre de ce projet, il était prévu de transférer aux circonscriptions l'autorité légale du gouvernement central sur les ressources de faune sauvage. A l'heure actuelle, néanmoins, c'est le conseil de district qui en a la garde légale pour le compte des circonscriptions. De ce fait, les décisions concernant les droits matériels des ménages appartiennent au district et non aux ménages eux-mêmes, alors que ce sont eux les producteurs de facto de la faune sauvage. Il reste à voir combien de ménages verront dans l'aménagement de la faune sauvage une utilisation possible de la terre alors que le pouvoir légal ne leur appartient pas.

Dans l'élevage et la culture, la base de ressources communautaire (terres, eau et végétation) permet une production individuelle, tandis que pour la faune sauvage, le patrimoine communautaire sert à une production également communautaire. Si l'on veut que l'exploitation de la faune sauvage soit admise en tant que possibilité d'utilisation de la terre, il faut créer des conditions telles que les détenteurs de terres puissent évaluer les systèmes de production de la faune sauvage comme ils le font pour les modes traditionnels de production agricole. Il faut pour cela, d'une part, apprendre aux intéressés l'utilité de la faune sauvage et ce qu'ils peuvent raisonnablement en attendre comme avantages économiques et, d'autre part, mettre en place un système approprié de distribution de ces avantages aux communautés et aux individus concernés. Tant qu'un tel système de distribution n'aura pas été créé, le projet ne pourra pas promouvoir l'aménagement de la faune sauvage (par la restriction d'accès à des terres arables et de pâturage) en remplacement des productions traditionnelles de l'agriculture et de l'élevage. Il faudra au contraire le considérer comme un système complémentaire compatible avec le système en place.

L'un des éléments de cette compatibilité consiste à protéger les habitants, les cultures et le bétail des animaux sauvages errants, en installant des clôtures pour séparer les zones villageoises des zones d'aménagement de gibier. Un autre consiste à mettre au point des mécanismes permettant aux familles d'accroître leur propre revenu en investissant dans des entreprises fondées sur l'utilisation de la faune sauvage. En l'absence de telles possibilités, l'aménagement de la faune sauvage n'est pas rentable comparé à d'autres utilisations de la terre telles que l'élevage.

Bibliographie

FAO. 1985. Rapport d'un consultant au Gouvernement du Zimbabwe. Harare, Mid Zambezi Valley Rural Development Project (MZVRDP).

Jansen, D.J. 1990. Sustainable wildlife utilization in the Zambezi Valley of Zimbabwe: economic, ecological and political trade-offs (document présenté à Ecological Economics Sustainability: an Intemational Interdisciplinary Conference). Washington, D.C., World Bank.


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